ok yael, bon choix!
allez, parce qu'il ne faut pas baisser les bras à la moindre vague :
"
Querelles et chicanes dans le couplePar Michelle Larivey , psychologue
Résumé de l'article
Les querelles sont-elles compatibles avec l'amour ou détruisent-elles les relations? Il suffit de soulever la question pour provoquer une discussion animée dans la plupart des groupes. Certains considèrent que les conflits sont destructeurs à cause des blessures qu'ils laissent chez les protagonistes. D'autres estiment que les querelles sont nécessaires à une vie de couple saine et harmonieuse.
Dans cet article, la psychologue Michelle Larivey dénonce les principaux mythes concernant les querelles conjugales. En s'appuyant sur sa compréhension des phénomènes émotifs et de leurs fonctions vitales, elle fournit des balises pour distinguer les querelles malsaines de celles qui sont saines et nécessaires. Elle conclut en expliquant pourquoi les querelles conjugales sont non seulement inévitables mais encore plus nécessaires au développement de l'amour et de l'intimité.
Table des matières
A Introduction
B. L'agressivité est inévitable dans le couple
C. Quelques mythes dévastateurs
1. Mythe 1: Les Éternels tourtereaux
2. Mythe 2: Le Prince charmant
3. Mythe 3: Le "Peace and Love"
4. Mythes et chicanes de couple
D. La querelle destructrice
E. La querelle constructive
1. L'expression ouverte
2. La réceptivité
F. Conclusion
A. Introduction
Dans certains cas, une querelle sonne la fin de la relation d'un couple. Quelque chose s'y passe qui donne le coup de grâce. La même blessure ouverte pour la Nième fois n'est plus endurable; la même impasse rencontrée pour la Nième fois fait déborder la coupe. La mort dans l'âme, on sonne le glas.
Il arrive aussi qu'une relation qui semblait se diriger vers une rupture subisse un virage majeur grâce à une violente dispute. L'affrontement permet de mettre à jour un problème important. Il est aussi l'occasion de découvrir à quel point chacun tient à l'autre.
Tout comme pour les émotions, c'est "par oreille" qu'on apprend à vivre la vie de couple. On copie nos parents ou on cherche à s'en différencier. Mais eux-mêmes n'étaient pas plus compétents; ils ont également appris "par oreille", imitant en partie et contestant en partie le modèle fourni par leurs propres parents. Il n'est pas étonnant que les conceptions de la vie amoureuse soient farcies d'erreurs et de mythes.
B. L'agressivité est inévitable dans le couple
Deux personnes s'attirent et forment un jour un couple parce qu'elles répondent ensemble à des besoins importants et qu'elles espèrent que cela continue. Il est inévitable que parfois certains besoins ne trouvent pas la réponse désirée. L'insatisfaction donne lieu à toutes sortes d'émotions: déception, peine, mécontentement, colère, rage, jalousie, ressentiment, douleur...
Ensemble ils se retrouvent souvent dans des impasses. Comme je l'ai expliqué dans " Le transfert dans les relations" et " Aux sources du transfert", on recrée, avec notre conjoint des situations similaires à celles qu'on a vécues antérieurement. La relation avec lui est une occasion de "compléter" une expérience dans laquelle on s'est jadis renié. Mais faute de connaître la méthode appropriée, on répète les scénarios connus, même s'ils sont inefficaces.
Cette réalité inévitable du "transfert", complique énormément la relation. Des accusations injustes, une multiplication des comportements non appropriés, une intensité émotive exagérée sont autant de facteurs qui empêchent d'atteindre l'harmonie recherchée. Le fait que les deux partenaires soient en même temps dans une relation transférentielle rend encore plus ardue la recherche d'équilibre et de satisfaction.
Même si le transfert n'était pas présent, le seul fait que l'autre pénètre autant dans mon intimité est propice à la discorde. Si proche de moi, il ébranle mon équilibre psychique: mon image de moi, ma vision du monde, mes façons de chercher réponse à mes besoins affectifs, mes attentes... Sa présence à mes côtés bouscule mes habitudes de vie et parfois, même ma culture. Cela engendre forcément des frictions, des querelles ou des guerres.
C. Quelques mythes dévastateurs
Plusieurs croyances erronées neutralisent cette agressivité nécessaire et inévitable dans la vie du couple. Même si ces mythes sont nocifs, on s'y accroche parce qu'ils nous permettent de refuser des réalités existentielles avec lesquelles il serait très exigeant de composer. Voyons quelques-unes de ces croyances.
Mythe 1: Les Éternels tourtereaux (ou "le respect de l'autre")
A) Le mythe
"L'amour véritable c'est d'accepter l'autre tel qu'il est, sans chercher à le changer."
Ceux qui adhèrent à ce précepte font avorter toute altercation avec une affirmation comme: "Tu n'as rien à dire car j'ai le droit d'être comme je suis" ou "Je n'ai pas à réagir car il a le droit d'être comme il est." Ces principes neutralisent instantanément tout sentiment ou réaction qui pourrait déranger leur équilibre.
B) Les conséquences
Sur la base de ce postulat, je suis allergique aux reproches et critiques susceptibles de me déstabiliser. Je suis aussi inconfortable devant toute désapprobation, même non manifestée. J'entreprends continuellement de m'expliquer à l'infini afin de me justifier. Car, pour être confortable, il faut absolument que l'autre soit d'accord.
Pas question que je confronte mon conjoint sur des comportements qui me dérangent ou que je trouve inappropriés. C'est contre mes principes de le blesser mais aussi, j'ai peur d'être troublée par ses réactions.
Comme il est impossible d'accepter vraiment mon conjoint (inconditionnellement) dans tout ce qu'il est, je dois souvent dissimuler mon expérience réelle pour paraître acceptante. Je "mets de l'eau dans mon vin". Il m'arrive souvent de considérer mes sentiments et mes réactions comme non légitimes. ("C'est correct qu'il soit aussi impatient envers moi. Il a tant de stress! C'est moi qui ne suis pas assez forte pour endurer cela.")
Pour parvenir à vivre à deux sur cette base, il faut devenir champions en concessions. Ce qui est accepté rationnellement ne l'est pas toujours profondément, toutefois. Le sentiment de frustration s'accumule durant des années. Pour continuer à vivre selon cette prescription on n'a d'autre choix que de se contenir et de s'éteindre afin de ne pas trop ressentir la frustration.
Pour le célibataire ce mythe constitue un problème de taille: il ne trouve jamais la personne "prête à porter", celle qui serait si parfaite qu'elle n'aurait à subir aucune retouche! Il est condamné à papillonner toujours sur la pointe d'une relation: celle de la lune de miel. Durant cette période, en effet, on peut entretenir l'illusion d'accepter inconditionnellement l'autre, car on peut encore se permettre de ne s'arrêter qu'à ce qui nous convient chez lui.
C) La réalité
C'est le contraire de l'acceptation conditionnelle qui permet à un couple de demeurer vivant et d'évoluer ensemble. Être vrai dans la relation et la communication est l'antidote au mythe des éternels tourtereaux.
"Aimer l'autre, c'est se respecter avec lui, au risque de le perdre."
À première vue cette option est plus difficile, car elle exige que je me montre à l'autre sans avoir l'assurance de son approbation. Je me rends souvent compte que je ne vis pas les choses de la même façon que l'autre, que nos sentiments ne sont pas identiques et que nous avons rarement les mêmes besoins au même moment. J'ai le pénible sentiment d'être seule, séparée de l'autre. Je suis face à ma solitude existentielle. C'est parfois triste, parfois affolant, parfois rassurant. C'est dérangeant mais c'est la réalité.
L'option d'être fidèle à soi est au fond la position la plus respectueuse de l'autre. Je le traite comme une personne ayant la capacité de s'assumer et pouvant choisir de porter un regard lucide sur elle-même. C'est une attitude à l'opposé de la condescendance et de la surprotection. Grâce à elle on peut risquer des confrontations nécessaires et salutaires comme celle de l'exemple suivant.
"Je déteste que la propreté de la maison soit la priorité de ta vie ! J'ai l'impression que tu évites l'intimité avec moi. Cela me choque et me peine car je me sens privé de toi. Et très franchement, je crois que tu as un problème sérieux à ne pas pouvoir supporter la poussière sur les meubles alors que tu tolères si bien que notre relation s'empoussière."
Mythe 2: Le Prince charmant (ou être au-devant des besoins de l'autre)
A) Le mythe
"Aimer vraiment c'est être capable de deviner l'autre et d'aller au devant de ses besoins".
Habituellement, c'est un seul des partenaires du couple qui s'attend à être ainsi pris en charge. Complice de cette attente, l'autre s'efforce d'être à la hauteur.
B) Les conséquences
En adhérant à cette croyance, je suis continuellement à l'affût des sentiments et des besoins de l'autre. Ceux-ci sont toujours plus importants que les miens. Si bien que je ne connais pas toujours bien mes propres besoins. Dans un tel système j'en viens même à en vouloir à l'autre s'il s'occupe de ses besoins sans s'être d'abord préoccupé de moi.
J'essaie aussi d'agir pour correspondre à ses désirs (exprimés ou non). Malgré la bonne volonté, les frustrations se répètent. Elle dira: "Je suis souvent irritée car même si je sais qu'il m'aime, il ne me le montre pas de la manière qui me plaît à moi. J'aime qu'il m'offre des fleurs, qu'il me téléphone du travail, juste pour me dire qu'il m'aime. Mais c'est un homme prosaïque!"
Lui dira: "je suis piégé par ses demandes (je devrais dire ses ordres). Je ne suis pas un homme à fleurs. C'est autrement que je manifeste mon amour. Mais elle ne le voit pas. Je suis donc dans une double impasse: ou je me force pour correspondre exactement à ce qu'elle veut (et je suis irrité de rentrer dans son moule) ou elle est continuellement insatisfaite."
Dans un système où la règle du jeu consiste à deviner, on imagine facilement la quantité d'imbroglios qui se produisent. Les déceptions se multiplient et l'ajustement est impossible à réaliser. Aussi, la déception accumulée se transforme-t-elle souvent en un dépit tiède. On perd confiance dans la possibilité d'une relation satisfaisante. On perd l'espoir de trouver un jour le Prince charmant ou son équivalent féminin.
C) La réalité
Chacun est responsable de ses besoins. Il n'y a pas de satisfaction possible dans un univers où chacun est responsable des besoins de l'autre. Il est impossible pour quiconque de prendre en charge les besoins d'un autre adulte parce qu'il n'est pas en mesure de bien les identifier.
"Pour assurer sa survie, chacun doit prendre ses besoins en charge."
Les êtres vivants ont tout ce qu'il faut pour s'informer sur leurs propres besoins et pour prendre l'initiative d'y répondre. L'arbre le fait. L'animal sauvage le fait. L'homme dispose des habiletés pour le faire. Lorsqu'il s'en remet à l'autre, c'est par choix: il renonce à porter la responsabilité de sa vie et par le fait même de sa satisfaction. Du même coup, il se condamne à l'insatisfaction et à une position plaintive, passive et hostile.
Il est plus exigeant d'accepter la responsabilité de mes besoins. Cela me met encore en face de ma solitude existentielle mais surtout, je suis confrontée à ma liberté. Je fais nécessairement des choix et j'ai inévitablement les conséquences de ceux-ci. C'est exigeant aussi parce qu'en portant mes besoins je suis obligée de me compromettre. Cela me force en particulier à démontrer mes sentiments et ma dépendance à l'égard de mon conjoint. (Voir " Transfert et droit de vivre".)
Mythe 3: Le "Peace and Love" (ou la violence est destructrice)
A) Le mythe
"Faites l'amour, pas la guerre." "La colère intense c'est de la violence et la violence est destructrice". Notre expression ensemble doit être douce, accueillante, compréhensive et aimante, mais pas violente. Il faut attendre d'être calme et détaché avant d'exprimer son mécontentement.
B) Les conséquences
Cette injonction nie à chacun d'entre nous, le droit d'être intensément mécontent. Si l'autre réagit fort, il m'entendra dire "N'exagère pas, ce n'est pas si pire" ou "Descends de tes grands chevaux, je t'en prie" ou encore "Quelle hystérique, tu exagères toujours!". Jugeant son ton irrespectueux plutôt que de le considérer comme la manifestation de l'intensité de son insatisfaction, je l'interpellerai en disant: "Ne me parle pas sur ce ton!"; "Je répondrai quand tu te seras calmé!". De ce pas, je lui coupe l'herbe sous les pieds (dans un autre langage on pourrait invoquer la castration!).
Il y a un réel danger à bannir l'expression intense et même violente. Cela rend impossible d'exprimer totalement son insatisfaction. Une explication rationnelle ne peut jamais donner la saveur du vécu et ne peut jamais rejoindre l'autre comme une expression sentie. Si l'expression sentie et complète est prohibée on se condamne à peu se rejoindre au plan émotif, sur des points cruciaux pour notre vie de couple. On manquera forcément d'information pour faire des changements d'importance capitale pour la qualité de notre vie commune.
C) La réalité
"La colère, même violente, est constructive lorsqu'elle est bien dirigée." La colère est la réaction normale lorsqu'on se bute à un obstacle. L'énergie qu'elle contient permet de se mobiliser pour franchir l'obstacle.
Mais il faut distinguer entre la violence-contrainte et la violence-intensité. La violence-contrainte implique l'utilisation de la force pour obliger quelqu'un à faire quelque chose contre sa volonté. Il peut s'agir de force physique ou d'une arme psychologique (ostensible ou insinuante). Une telle violence est néfaste dans les rapports humains. Mais la violence-intensité correspond à une action véhémente, à une expression physique ou verbale d'une ardente intensité.
En confondant les deux on se condamne à éliminer l'intensité dans les rapports humains. Ce faisant, on commet une grave erreur car, pour parvenir à se rejoindre et à se comprendre, les êtres doivent parfois avoir des échanges d'une grande force.
Mais les échanges vigoureux ne sont pas toujours sécuritaires. Il est important d'être vigilant, particulièrement lorsqu'on connaît peu la personne. C'est ce qui nous permet de savoir si on peut se laisser aller dans un tel échange sans courir de danger réel et sans nuire à la relation.
Voici des critères susceptibles d'assurer la confiance des protagoniste, même lorsque l'intensité de la colère est presque insoutenable pour eux. Une querelle n'est pas dangereuse...
1. si nous sommes en contact avec nos émotions (on n'a pas perdu la carte)
2. si nous sommes en mesure de nous contrôler nous-mêmes (on sait s'arrêter avant de dépasser les bornes)
3. si nous portons nous-mêmes la responsabilité de notre propre vie (vs en faire porter la responsabilité à l'autre)
Si ces conditions sont réunies, ni l'un ni l'autre ne court le risque d'être anéanti. Nous ne courons aucun risque d'avoir recours à des coups physiques d'une rudesse excessive.
Ce ne sont pas tous les humains qui sont capable de respecter ces critères. Il y a des personnes dont il faut se méfier des colères. Mais ce n'est certes pas en prohibant la colère en soi qu'on améliorera le sort des couples. C"est plutôt en apprenant à se quereller d'une manière constructive.
Mythes et chicanes de couple
Paradoxalement, les mythes ci-dessus sont en grande partie responsables des chicanes de couples. Si la querelle est tabou mais que l'agressivité est inévitable, comment faire pour décharger sa frustration? Comment faire pour évacuer sa colère (parfois nommée par l'euphémisme "stress")? On cherche noise, on se chicane sur une vétille, on boude, on prend ses distances. Comment rendre alors son partenaire sensible à ce qui est important pour nous?
Les plus ardents ne peuvent se contenter d'une lutte tiède à répétition. Après une longue accumulation, ils éclatent enfin. Les résultats ne sont pas nécessairement positifs car une fois la colère exprimée, ils sont bien souvent incapables de l'assumer. Ils s'excusent, tentent d'effacer. Et malheureusement, il ne reste rien de tous ces efforts, sauf la peur bleue d'une nouvelle scène.
Si on n'apprend pas à se quereller correctement on engendrera inévitablement des conflits. Ouverts ou latents, ils auront des effets destructeurs sur la relation.
D. La querelle destructrice
Si la colère est prohibée et si l'intensité fait peur, que me reste-il pour atteindre l'autre? Car c'est pour lancer un message qu'on se chicane, c'est pour communiquer une insatisfaction, pour signaler l'importance de la frustration. Il ne reste alors que les armes qui apparemment n'ont rien de violent mais atteignent infailliblement la cible: la vulnérabilité de l'autre.
En plus d'être infaillible, cette tactique est économique pour celui qui s'en sert. En effet, au lieu de miser sur le fait de me dévoiler pour attirer son attention, je lui assène un coup qui fait l'effet d'un choc. En somme, je choisis de frapper sur son talon d'Achille pour cacher ma propre vulnérabilité.
Attaquer la vulnérabilité de l'autre tout en cherchant à être moi-même invulnérable a des conséquences néfastes. L'autre se sent inévitablement trahi car c'est en me faisant pénétrer dans son intimité qu'il m'a consenti une ouverture sur sa vulnérabilité. Il lui est impossible de se sentir aimé ou considéré puisque je le traite comme "l'ennemi à écraser".
Quelles sont les tactiques qui misent sur l'invulnérabilité de l'un et la vulnérabilité de l'autre? Toutes celles qui ont pour but de blesser: l'insulte, le dénigrement, les blessures physiques intentionnelles. Voici quelques exemples éloquents.
"Tu as fait du charme à toutes les femmes et tu m'as ignorée toute la soirée. Penses-tu que tu ferais le même effet à ces belles si elles savaient combien tu es pourri au lit, monsieur Casanova? Tu te trouves bien bon mais sais-tu que je n'ai jamais joui avec toi? (Comment peut-il de nouveau être en confiance avec cette personne qui s'attaque aussi cavalièrement à quelque chose qui a beaucoup d'importance pour lui, alors qu'elle sait que c'est le cas?)
"Ça ne sert à rien de te parler. Tu es folle à lier. Aussi folle que tes tantes enfermées à l'asile!" (Comment peut-elle se relever et s'ouvrir avec confiance à l'homme qui triture sa peine et son inquiétude d'être tarée. Comment peut-elle penser que cet homme tient à elle si c'est là son opinion?)
Lorsqu'il est contrarié, il l'a bouscule ou la frappe. Si par malheur elle se défend, c'est pire. Il l'a bat jusqu'à lui laisser des marques. (Comment peut-elle avoir la conviction de compter pour lui s'il se permet de lui faire mal simplement "pour se défouler"?)
Malgré les regrets et les tentatives de réparation, ces blessures demeurent indélébiles. Celui qui a blessé l'ignore souvent, car l'impact n'est pas toujours visible sur le champ. Devant de telles agressions l'autre réagit en effet la plupart du temps par la colère ou la fermeture. De toute façon, qui est disposé à s'ouvrir devant l'ennemi qui cherche à l'écraser?
Est-il possible de ne pas traiter mon partenaire comme un ennemi? Est-il possible d'être en colère et de le manifester autrement qu'en voulant le blesser? Examinons les ingrédients d'une querelle constructive.
E. La querelle constructive
Les bonnes querelles, celles qui sont utiles et même salutaires, n'ont pas pour but de gagner, de blesser ou d'écraser. Elles sont un effort de communication. Elles visent à faire vraiment voir à l'autre "combien et comment" il nous a "atteint". On est dérangé, frustré, blessé, insatisfait, un peu, beaucoup, intensément ou très intensément et on veut qu'il le sache. On veut qu'il le sache parce que qu'il est impliqué dans ce que l'on vit, dans le problème et parfois aussi dans la solution.
Voici un exemple.
* Je suis en colère! Je te trouve d'une insouciance renversante! Et en plus irresponsable. Ce soir, je suis dans une rage. Si je ne me retenais pas, je te battrais.
* Je sais pourquoi. Tu trouves que je ne t'ai pas suffisamment aidée depuis que nous sommes rentrés. N'est-ce pas?
* Oui, c'est ça! Oh, la vie est belle pour toi. Tu pars le matin (oui, je sais que tu fais de grosses journées) mais tu as le temps d'aller au gym trois fois par semaine. Le soir, tu coupes quelques légumes et tu as toute ta soirée à faire ce que tu veux, à ta guise. Alors que moi je n'arrête pas. Tu ne t'occupes du bébé que lorsque je te le demande. C'est moi qui fait tout ici. Ce soir ça a vraiment été le comble! J'étais débordée. Le bébé est malade. Je courrais entre lui et le repas, le téléphone.
* Qu'attendais-tu de moi?
* Que tu t'occupes du bébé ou que tu répondes au téléphone... Je ne sais pas, moi. J'en avais plein les mains, ne le voyais-tu pas? Le bébé qui s'impatientait, le téléphone qui n'arrêtait pas de sonner, la sauce qui brûlait...
* J'ai bien vu que tu courais, comme d'habitude. Ce n'est quand même pas nouveau. Tu n'es pas capable de t'arrêter. Pourquoi as-tu répondu au téléphone? Nous en avons déjà discuté. Nous étions d'accord pour ne pas répondre à l'heure des repas, à moins qu'il s'agisse d'une urgence. Nous avons un répondeur bon dieu! Tu veux répondre, alors réponds.
* Ça ne règle pas le problème. J'étais de toute façon débordée!
* Je t'ai dit, en rentrant, de ne pas te lancer dans un souper gastronomique. Tu as répondu que cela te tentait et que de toute façon ça n'allait pas être long. Tu veux faire à ta tête et quand ça tourne mal tu t'en remets à moi. Je ne suis pas d'accord pour jouer ce rôle, faire cette suppléance. Tu n'a jamais remarqué qu'il faut toujours que cela se passe "à ta manière". Si c'est cela, arrange-toi. J'ai fini d'être ton dépanneur.
* Et le bébé alors? On l'a fait tous les deux, non? Tu étais bien d'accord. Mais c'est toujours moi qui l'ai sur les bras.
* Là ma fille tu t'engages sur un sujet glissant. Si tu veux ma réponse, la voici: j'ai fini par le laisser dans tes bras à force que tu le retires des miens.
* Quoi? Que dis-tu?
* (Le ton en crescendo) Ne fais pas l'innocente Maryse! Tu sais très bien que ce que je fais avec Antoine n'est jamais correct à tes yeux. "Ne le tiens pas comme ça. Tu le serres trop! Tu ne vois pas qu'il a le soleil dans les yeux? Qu'est-ce que tu lui fais pour qu'il pleure? Avec moi, il ne pleure pas." Par-dessus le marché, quand il pleure tu me l'arraches des bras. T'es inconsciente ou quoi!
* Je ne fais pas ça!
* (Très fort.) Quoi? Va-t-il falloir que je fasse un vidéo pour que tu comprennes? C'est comme ça depuis le début bon dieu! Sur quel ton va-t-il falloir que je le dise? Je ne suis tout de même pas pour m'agripper au bébé quand tu viens le prendre. Et puis, je te l'ai dit mille fois, de toutes sortes de façons. C'est simple, tu ne veux pas comprendre. Tu as décidé que c'est TON bébé. Eh bien gardes-le!
Lourd silence.
Elle essaie de se rapprocher. Il la repousse brusquement
* Pas de manipulation, je t'en prie. Tu n'as que ce que tu mérites. De toutes façon, je pense que c'est la seule manière de te faire comprendre. Tu es fermée comme une huître sur ce sujet. Je suis bien malheureux de cela Maryse. Mais je n'arrive pas à te faire comprendre que tu es possessive et que tu cherches à tout contrôler. Tu m'éloignes de cet enfant! C'est réellement insupportable pour moi tu sais.
* Il me semble que c'est la première fois que j'entends vraiment ce que tu me dis, Marc. Je trouve que ce que tu dis-la est épouvantable, monstrueux. Mais je pense que tu as raison...
À la fin d'une querelle réussie, chacun sait à quoi s'en tenir sur les sentiments et le comportement de l'autre. On a cerné le problème de chacun. On est en mesure d'explorer la question davantage si nécessaire ou de se mettre à le recherche de solutions. Ce genre d'affrontement constitue un tonique pour la relation! Un psychologue avait l'habitude de dire: "une bonne querelle par jour, ça garde un couple bien vivant!"
Il y a deux conditions à une saine querelle:
1. l'expression ouverte et
2. la réceptivité.
Voyons en quoi cela consiste exactement. Chacun des ingrédients doit être présent chez chacun des deux partenaires pour que les résultats bénéfiques soient obtenus.
1. L'expression ouverte
A) Exprimer ce que je ressens
J'exprime mes sentiments en rapport avec le sujet et en rapport avec l'autre personne.
B) Exprimer l'intensité de mes émotions
J'exprime mes émotions dans leur intensité réelle. "Je suis si en colère que je te battrais si je m'écoutais!" Les mots et le ton rendent compte de l'ampleur de ma colère. De cette façon, je donne à l'autre accès à ce que je vis, tel que je le vis.
C) Sur quel sujet
Il est important de bien identifier ce qui nous dérange. Sinon, il sera impossible pour l'autre de comprendre et éventuellement impossible de trouver des solutions. Les accusations floues et les généralisations du genre "je n'aime pas comment tu es", "tu es toujours pareil" ne sont d'aucune utilité dans un échange dont le but est de mieux se comprendre.
D) L'importance pour chacun
Ma réaction n'aura aucun poids si je ne révèle pas la gravité de la question pour moi. Bien sûr cette importance est révélatrice de moi seule et de personne d'autre. C'est pourquoi il n'est pas utile de contester l'importance que l'autre accorde au sujet: elle est éminemment subjective. Il n'est pas utile, non plus, de chercher à atteindre une consensus, c'est-à-dire à s'entendre sur cette importance. On n'y arriverait pas car ce sont des éléments différents qui ont de l'importance pour les deux conjoints.
S'il y a une solution à chercher, elle devra donc reposer sur ce qui est vraiment important pour chacun des deux. C'est la seule façon pour que les deux soient satisfaits et que le couple en sorte amélioré.
2. La réceptivité
Pour que l'échange soit fructueux, les deux parties doivent faire part d'ouverture. Il faut se rappeler qu'une querelle fructueuse ne se solde pas par la victoire de la plaidoirie la plus convaincante. Elle portera fruit si chacun a pu exposer son vécu et se faire comprendre de l'autre. Durant l'échange donc, les deux doivent demeurer sensibles aux propos et aux réactions de l'autre.
A) Écouter le point de vue de l'autre
En plus du souci d'être correctement comprise, il me faut bien saisir le point de vue de mon conjoint. C'est un exercice difficile. Il est tentant de m'en tenir à défendre mon point de vue et de chercher à le convaincre du bien fondé de celui-ci. En fait il est tentant de chercher à avoir raison!
Au lieu de faire cela, je l'interroge sur les points obscurs, je l'invite à me dire ses vraies réactions, à me les communiquer au complet, je lui demande de m'expliquer comment il vit cette réalité... Il y a des problèmes qui se règlent dans un couple juste parce qu'on s'est senti compris. On ne demande souvent rien de plus à l'autre que de nous écouter et de comprendre notre point de vue!
B) Être attentif à l'effet sur moi
Il est utile de demeurer attentive à ce que je vis durant l'échange. C'est ainsi que je remarque l'effet des propos et de l'attitude de l'autre sur moi. (Cette fois, Maryse saisit bien ce que Marc lui a pourtant souvent dit.) C'est de cette façon aussi que je me rends compte si mes propos ont un impact sur l'autre et que je puis réajuster mon tir pour mieux l'atteindre, au besoin.
L'attention à mon expérience intérieure me permet aussi de me rendre compte des mouvements qui se produisent en moi durant l'échange: plus grande ouverture, mouvement de fermeture, divers sentiments devant le vécu de l'autre. Tout cela est précieux pour alimenter l'échange et le réajuster.
L'expression est difficile à réussir. Elle implique d'être en contact avec son vécu et de prendre le risque d'être en relation ouverte avec son interlocuteur.
F. Conclusion
Les querelles sont nécessaires à une vie de couple harmonieuse, pour trois raisons. Premièrement, elles permettent au couple de demeurer vivant parce que chacun de ses membres reste préoccupé de combler ses besoins. Deuxièmement, elles permettent au couple de rester vivant en lui fournissant l'occasion de procéder à des ajustements qui bonifient la vie à deux. Troisièmement, les affrontements, sont autant d'occasions de s'assumer ouvertement.
À chaque friction ou tension, chacun a l'opportunité de vivre ouvertement une expérience importante devant une personne qui est importante pour lui. Chacune de ces situations est une occasion de s'assumer davantage comme personne. Dans cette perspective, la vie de couple est une situation de croissance psychique sans pareille. "